Heaven And Earth | Johnny Boy Would Love This

3 Nov 2011
Libération
Dino Di Meo
Le Blues d'Outre-Tombe du Barde John Martyn

Par Dino Di Meo

Célébration. Deux CD envoûtants, un inédit et un hommage, ressuscitent le Britannique à la vie cabossée.

«Si je me contrôlais, ma musique serait moins intéressante.» Voilà ce que disait John Martyn, sorte de monstre du folk anglais, amputé d'une jambe après avoir percuté, selon ses termes, une «vache noire dans une nuit noire». Ayant sombré dans la drogue et l'alcoolisme depuis toujours, ce bagarreur sans égal a été abattu par une double pneumonie à 60 ans, le 29 janvier 2009, en Irlande. «J'ai été agressé à New York et me suis battu pour m'en sortir vivant. On m'a même tiré une ou deux fois dessus et j'ai dû faire le mort», affirmait aussi celui que l'on soupçonna de meurtre après une rixe imbibée.

Une fois, lors d'un concert en Espagne, ses 130 kilos ont également basculé de la scène tant il était plein. «Mais j'ai eu trois rappels ensuite», plaisantait-il. Cela s'est un peu calmé lorsqu'il jouait dans son fauteuil roulant. Jim Tullio, ami et producteur de son dernier disque, Heaven And Earth, se rappelle de lui comme d'un «happy man» qui ne cherchait pas d'embrouilles.

Divorce. John Martyn a fait son trou grâce à ses influences blues. Surtout celles de Skip James. A la fin des années 60, la scène folk britannique se déchire dans son style. Bert Jansch et Pentangle d'un côté, le plus classique Ralph McTell de l'autre. Jusqu'au très électrique Fairport Convention. L'Angleterre pullule de musiciens de talent. Guitaristes notamment. Iain David McGeachy, alias John Martyn à venir, est l'un d'entre eux; appliqué, précis, novateur. Une guitare acoustique au poing, il n'a que 17 ans lorsqu'il quitte Glasgow, sa ville d'adoption, après le divorce de ses parents chanteurs d'opérette. Il rejoint Londres où il est déjà un aventurier. Sa façon de pincer les cordes de sa guitare lui vient-elle tout droit de Davey Graham, autre prophète de ces années primordiales pour les grands groupes de rock de la décennie suivante Led Zeppelin ou Pink Floyd?

Lorsque Chris Blackwell, le fondateur d'Island Records, le repère dans un folk club de Soho, il en fait le premier Blanc à enregistrer pour un label reggae, jusque-là réservé aux Noirs. Martyn sera payé 158 livres pour son premier disque, London Conversation. De sa rencontre avec la chanteuse folk de Coventry, Beverley Kutner, qui deviendra sa femme, naissent d'autres albums. Le couple habite à Woodstock (Etat de New York) près de chez Bob Dylan et en face de chez Jimi Hendrix. «Je le voyais partir tous les jeudis dans son hélicoptère mauve.»

Le couple va débaucher le bassiste de Pentangle, Danny Thompson, maillon fort de ses enregistrements pendant une dizaine d'années. «Tous mes disques, les bons, les mauvais, les insignifiants, sont autobiographiques,» dira John Martyn au Daily Telegraph. «Quand je les écoute, je peux me remémorer exactement ce que je faisais.»

Lorsque Solid Air sort en 1973, c'est une vraie révolution dans le folk britannique. La chanson est dédiée au sulfureux Nick Drake, qui mourra d'overdose dix-huit mois plus tard, en 1974. Sa guitare est électrifiée à travers un Echoflex, une sorte de flanger à effet hypnotique qu'il maîtrise parfaitement. Il va envoûter quelques musiciens comme Eric Clapton, David Gilmour ou Phil Collins, qui restera son plus fidèle fan. Il teste, transforme les sons et y pose une voix de bluesman tordu sortie du fin fond du Mississippi. Ces expérimentations le mèneront vers un jazz rock fusion inextricable.

Chaloupées. Martyn a enregistré 46 albums. Le dernier en date, Heaven And Earth, qui sort, est posthume. Il ne manquait que la dernière phase d'enregistrement, que Jim Tullio a achevée l'an passé en compagnie, entre autres, de Phil Collins et de Garth Hudson, de The Band, dans un style gospel blues rock assez exceptionnel, à l'image de ces ballades chaloupées et lancinantes qui ont fait sa légende. «Certains morceaux n'étaient pas terminés et nous avons travaillé avec ce qu'on avait,» précise Jim Tullio. «On a tout laissé comme il l'avait imaginé. Depuis longtemps, il n'expérimentait plus le son, mais le style.» Sur Can't Turn Back The Years, c'est Phil Collins qui insiste pour faire le background.

Pour accompagner cette sortie d'outre-tombe, un tribute bien ficelé redonne vie au barde défunt. Trente artistes, dont les Blind Boys of Alabama et Robert Smith (The Cure), célèbrent Martyn et son influence musicale. «Je ne suis pas grand-chose,» disait-il cependant. «Je titube juste d'une chose à l'autre.» Lors d'un de ses derniers concerts, John Martyn a demandé au public : «Quelqu'un a-t-il besoin des services d'un lutteur de sumo unijambiste?» Un bel autoportrait.

Dino Di Meo

John Martyn CD : Heaven And Earth (V2).
Double CD : Johnny Boy Would Love This… A Tribute To John Martyn (Hole in the Rain-Liaison Music-V2).

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