John Martyn [Atem]

Gérard Nguyen
Atem magazine #12

John Martyn peut être considéré comme quelqu'un d'un peu à part dans la musique anglaise, et bien qu'étant un des artistes favoris de la critique, le grand public ne semble pas encore avoir découvert ce personnage barbu et bon vivant et sa musique si attachante... Pourtant, à l'écart des modes, sans faire beaucoup de tapage, John Martyn a, depuis plus de 10 ans, commis quelques albums essentiels, depuis les premiers, à tendance nettement folk, jusqu'à ceux parus ces dernières années, dans lesquels sa musique s'est considérablement enrichie, musicalement et techniquement, par des rythmes plus forts, des sonorités plus électriques, une production plus riche...

On l'avait aperçu au premier festival d'Orange, seul avec sa guitare, presque l'objet d'un culte, seul rescapé de la grande période anglaise découvreuse de nouvelles musiques au début des années 70 (Incredible String Band, Third Ear Band, Tyrannosaurus Rex etc..) et de Island en particulier (Fairport Convention, Nick Drake, Amazing Blondel etc.). Tous ces gens étaient issus de la scène folk anglaise mais s'en étaient démarqués très nettement avec l'apport de l'électricité, vers quelque chose que, faute de mieux, on avait appelé Folk-rock..
Alors, John Martyn, on le connait sans vraiment le connaître, grâce à ses albums plus au moins réguliers, pour la plupart un nom qui dit quelque chose, pour d'autres un autre ami, toujours présent, fidèle et attachant....

John Martyn vient de Glasgow, cette triste ville industrielle d'Ecosse dans laquelle il passera presque toute sa jeunesse et où il commencera à jouer de la guitare, des trucs de Dylan ou de Ralph McTell. C'était l'époque des débuts de John Renbourn, de Bert Jansch et de Davey Graham, dont l'album sera un véritable détonnateur pour Martyn. A 17 ans, il débarque à Londres, rencontre l'Incredible String Band et joue avec eux dans les clubs de folk de la capitale anglaise, notamment au Cousins. Mais c'est au Kingston, un autre folk-club que Theo Johnson, un chanteur qui avait déjà enregistré deux albums de ballades pour Island, impressionné par John Martyn, lui déclare qu'il veut faire une star de lui et l'introduit auprès d'Island.

conversation à londres..John Martyn proposera 'Fairy Tale Lullaby' et trois semaines plus tard un contrat est signé. Peu après parait son premier album, London Conversation. C'est en 1967, ... et en mono! Sur les douze titres qui composent ce disque, huit sont de John Martyn. On y trouve le très beau 'Back to stay' (repris par Bridget St John sur son album Songs For The Gentlemen), ainsi que 'Don't think twice' de Bob Dylan... Un premier album qui reflète parfaitement son époque, folk anglais avec uniquement John, sa voix et sa guitare acoustique...

le poussah..En 1968 parait le second album de John Martyn, The Tumbler, produit par Al Stewart, cet autre singer-songwriter anglais issu du folk anglais et qui continue à produire des albums plus 'pop' (Year of the cat). The Tumbler a été enregistré en un après-midi et John Martyn, qui cette fois a composé toutes les chansons, y est accompagné par Harold McNair, un superbe flutiste aujourd'hui décédé, Paul Wheeler à la deuxième guitare et Dave Moses à la guitare basse. Un album folk également mais avec déjà quelques chansons qui échappent un peu à cette étiquette, comme 'Dusty' ou 'Seven black roses'. Bien entendu, cet album ne sortira pas des milieux folk auquel il appartient encore et John Martyn demeure encore quelqu'un de presqu'inconnu...

porteur de tempêtes..C'est à un concert auquel il participe, au Chelsea College of Art, que John Martyn va rencontrer Beverley. Cette dernière est également une chanteuse folk et vient de signer avec Witchseason, la compagnie de Joe Boyd (Cf Incredible, Fairport etc). Et John va signer avec Witchseason pour accompagner Beverley à la guitare au cours de session qu'elle doit faire aux U.S.A. Pas de changement véritable d'ailleurs, car Witchseason avait un contrat de distribution avec Island! John et Beverley vont donc partir aux U.S.A. ensemble pendant l'été 1969, et l'album prévu au départ pour Beverley va devenir un album de John et Beverley Martyn! Stormbringer marque un net changement dans la musique de John Martyn,.grâce à la présence de Paul Harris (piano, orgue), Harvey Brooks (basse), Billy Mundi, Herbie Lovell et Levon Helm (drums)... Une tendance plus franchement folk-rock, de par la combinaison drums/guitares acoustiques:

"Joe Boyd est crédité à la production, mais nous n'étions pas toujours d'accord avec lui. Il n'avait pas une approche aussi libre que je l'aurai souhaité. Il nous a fait rencontrer Paul Harris et a loué une maison à Woodstock pour nous permettre de répéter, car il voulait que nous arrivions dans le studio fins prêts pour faire des économies. C'était l'année du festival; Levon Helm et Harvey Brooks étaient des amis et il est normal qu'ils soient sur le disque. Dylan habitait pas loin, et Hendrix un peu plus loin: il arrivait tous les jeudis dans un hélicoptère pourpre et restait jusqu'au lundi... Je pense que ce disque a surpris tout le monde, parce qu'on attendait un album un peu folky et nous sommes arrivés avec Stormbringer. Je pense que ce disque était en avance sur son temps..." (John Martyn, in Zig Zag no 41, 1974).

chemin à ruine..Quatre des dix chansons sont signées Beverley (dont les très beaux 'Tomorrow time' et 'Can't get the one I want' avec des arrangements de cordes), les autres étant de John, dont 'John the baptist', 'The Ocean' et 'Would you believe me' avec un avant gout de musique plus électrique...

C'est John Wood qui produira le quatrième album (le second et dernier avec Beverley), en Angleterre cette fois-ci. Un disque un peu à part, ceci étant dû à la très grande varieté des musiciens qui accompagnent John et Beverley. En effet, pour The Road To Ruin. outre Paul Harris venu spécialement des USA, on peut trouver Danny Thompson (de Fairport) à la guitare basse, Wells Killy (qui formera par la suite Orleans) à la batterie, Dave Pegg à la basse aussi, Alan Spenner (de chez Joe Cocker) et Mike Kowalski aux drums, et surtout les gens qui allaient donner une couleur plus nettement jazzy à l'album, Dudu Pukwana, Lyn Dobson et Ray Warleigh:

"Joe Boyd produisait aussi le Brotherhood of Breath de Chris McGregor et j'étais allé à plusieurs de leurs concerts. J'ai sympathisé avec Dudu Pukwana qui est un musicien extraordinaire et qui avait en plus ses propres groupes, Spear et Assagai! Quant à Lyn Dobson et Ray Warleigh, ce sont des musiciens de jazz que j'aime beaucoup" (John in Zig Zag no 41)

Une production plus riche, pleine de re-recordings marque ce disque étonnant, surtout dans des titres comme 'Road To Ruin', 'Auntie Aviator' ou 'Primrose Hill'. Toujours est il qu'avec cet album, John Martyn s'éloigne encore un peu plus de l'image trop rigide du chanteur folk et de sa guitare...

Suit alors une assez longue période d'inactivité pendant laquelle Martyn cessera de tourner et qui verra non seulement Witchseason s'effondrer mais aussi les relations entre Island et Martyn se déteriorer... En effet, il avait été convenu entre Boyd et Island que Beverley ferait un album solo, ainsi que John, et qu'enfin un troisième album de John et Beverley serait enregistré. Mais Island qui voyait que Martyn n'était pas encore une star n'avait plus tellement envie d'investir beaucoup d'argent pour le produire et finalement décida de ne produire que son disque...

benis soient les temps..Avec Bless the weather (1971), c'est un peu un retour aux chansons plus simples des premiers jours qu'opère John Martyn, avec un accompagnement beaucoup plus conventionnel -basse, batterie, guitare et voix-, avec Roger Powell, Ian Whiteman, Tony Reeves, Richard Thompson et Danny Thompson, le fidèle compagnon. La plupart des chansons qui composent ce disque ont été écrites dans le studio, juste avant d'être enregistrées et c'est John Martyn qui a produit lui-même, avec l'aide de John Wood... Un des albums indispensables de Martyn, avec de très belles chansons comme 'Back down the river', 'Head and heart', 'Just now' et surtout 'Glistening Glyndebourne', John à la guitare électrique, explorant les possibilités du sustain sur des mélodies très simples sur une texture sonore très douce:

air massif.."J'ai pensé aux possibilités de la guitare électrique après avoir écouté 'Music from Big Pink' du Band. En fait, dans ma naiveté, ce que je croyais être de la guitare électrique était en fait la sonorité de l'orgue Hammond. Mais c'était la première fois que j'entendais de la musique électrique utilisant des textures très douces. J'étais intrigué parce que la plupart des gens confondent musique électrique avec hard-rock. Ils ne savent pas qu'ils peuvent l'utiliser autrement. C'est une des raisons pour lesquelles j'aime Joe Zawinul de Weather Report, parce qu'il explore l'aspect plus doux de l'électronique, comme Terry Riley..." (John Martyn, in Zig Zag no 41).

En 1973 parait Solid Air qui, à l'exception d'une reprise d'un titre de Skip James 'I'd rather be the devil' ne comprend que des originaux de John Martyn. La voix y est plus que jamais utilisée comme un instrument, et la musique se fait très expérimentale, un mélange subtil de mélodies acoustiques, de rock, de jazz et d'électronique ('Man in the station', 'Solid Air') grace à la présence de Rabbit (claviers), Danny Thompson, Dave Pegg, Dave Mattacks, Richard Thompson et Simon Nichol etc... Et cet album à la très belle pochette contient aussi l'une des plus jolies chansons de John Martyn, 'May you never':

May you never lay your head down
Without a hand to hold
And may yau never make your bed
Out in the cold
May you never lose your temper
If you get into a barroom fight
And may you nover lose your woman
Overnight.

Tout cela donne un très bel album, très pudique, une atmosphère intimiste, malgré la complexité (non apparente) du travail instrumental fournit par tous les musiciens présents aux séances.

l'envers à l'endroit..C'est en 1973 aussi que parait Inside Out, une sorte de concept album sur le thème de l'amour, avec toujours cette subtile harmonisation de folk, rock, jazz et de choses beaucoup plus expérimentales, notamment avec le fantastique 'Eibhli Ghail Chiuin Chearbhaill' dans lequel la guitare a un son vraiment fabuleux, une mélodie très lente où les lignes de guitare se croisent, se suivent, tandis que la basse produit des sons très ronflants... Pour cet album, outre le fidèle Danny Thompson, John Martyn s'est entouré de Stevie Winwood, Chris Wood et Remi Kabaka, tous trois de Traffic, une vieille amitié renouée et qui datait du temps de la tournée que Martyn avait faite en première partie de Traffic,aux USA:

favori de la fortune.."Inside Out est un album amusant, d'une certaine manière. Je ne sais pas si je ferais encore un album comme celui-là. J'ai pensé qu'il était temps de faire quelque chose de ce gout-là car je voulais dire des choses très simples et très directes. Mais avec le concept de l'amour, qui était à la base de Inside Out, il y a le danger de continuer à dire ce genre de choses pendant tout le reste de sa vie, et je vais essayer d'aller vers d'autres choses."

Sunday's Child (1975) est peut être l'album qui combine le mieux les diverses influences musicales de John Martyn au du moins les différentes directions que prend tour à tour sa musique. Les morceaux y sont extrêmement bien construits ('One day without you'), parfois très violents ('Root love' ou 'Clutches'), très denses, très puissants, mais une puissance au second degré, beaucoup plus suggérée que montrée. Martyn possède de mieux en mieux son instrument et sa technique particulière (guitare, fuzz-box et echoplex), sa voix colle parfaitement à la musique, sans qu'il soit vraiment bien important de comprendre les textes. Musique et paroles forment un tout indissociable et Sunday's Child est une des meilleures choses parues cette année là...

live à  leeds..Martyn voulait aussi faire un album live, pour essayer de capturer l'ambiance très particulière de ses concerts. C'est donc à Leeds (là où sévirent déjà les Who) qu'un album a été enregistré live. Live At Leeds, d'abord refusé par Island, qui voulait un album plus conventionnel, sera donc distribué en édition limitée et numérotée par John Martyn lui-même. Malheureusement, un retard dans les livraisons fera que John ne pourra pas réellement s'en occuper, car il est sur le point de partir en tournée. C'est donc Beverley qui commencera à le distribuer avant que Virgin ne s'en occupe. Live At Leeds est un album fantastique, à jouer TRES FORT! Toute la première face est occupée par une longue suite à la guitare électrique, fuzz et echoplex, extraite de 'Outside In' et de 'Solid Air', tandis que la seconde comprend des titres comme 'Bless the weather', 'Man in the station' et 'I'd rather be the devil', pour lesquels John Martyn est accompagné par Danny Thompson et ce batteur pas ordinaire qu'est Jon Stevens...

Et après un long silence, voilà qu'arrive One World, le tout nouveau disque de John Martyn, entouré de Danny Thompson (bien sûr), Stevie Winwood, Dave Pegg, Morris Pert (percussions - un ancien de Come to the Edge et de Suntrader), Neil Murray, Jon Field de Jade Warrior, et Bruce Rowlands... Chris Blackwell a produit ce disque, une production presque impeccable s'il n'y avait pas parfois des violons dont on se passerait volontiers.

un monde..Quelques morceaux dans la veine des précédents ('Couldn't love you more' ou 'Dealer'), une bossa-nova très chouette ('Certain surprise'), un très très beau morceau, très doux, avec au lointain la guitare et ses chaudes notes électriques, les touchers délicats de Winwood aux claviers ('One world') mais aussi et surtout 'Smiling Stranger' enchainé à 'Big Muff', (un titre co-signé Martyn/ Lee Perry), presque 10 minutes d'une musique très syncopée, d'abord avec le moog de Winwood puis par les percussions de Morris Pert et Jon Stevens, presque malsaine, avec la voix de Martyn en écho sur le refrain: 'Big Muff - Can't you see that I've had enough/ Lord knows you're trying to kill me'... et puis retour au dernier titre de la face un, avec un étrange morceau, 'Small Hours', presque 10 minutes qui s'étalent, marquées par la pulsation lente du moog de Winwood, les sonorités de guitare de John Martyn jouant avec le volume et le sustain, et les quelques phrases qui survolent parfois l'ensemble, le tout baignant dans une atmosphère irréelle, étrange et fascinante à la fois...

One World est aussi un album indispensable, et si par hasard vous ne connaissiez pas John Martyn, essayez donc celui-là... Et il y a des gens pour dire qu'il ne se passe pas grand chose...! Doivent être sourds ou bornés! Les deux à la fois? Bigre, ce ne doit pas être drôle pour eux...

Gérard NGUYEN